Je m'appelle Roxane*, j'ai 24 ans.
Ma première relation sexuelle ? Un viol.
J'ai vécu ce que tant de femmes endurent aujourd'hui en France.
* prénom modifié
I. Akabi, S. Barel, P. Boutin, C. Chatellier, N. Chrestien C. Elaraki, Q. Fournier, M. Huang, G. Huet, T. Mesny
Tout a
commencé
comme
une
banale
amourette
Un flirt, un baiser volé. Le cœur palpitant pour un ami qui me plaît. C'est léger, innocent, il me fait la cour autour d'un verre. Puis arrive l'heure où il faut rentrer. Il ne veut pas que ça se finisse. Nous allons donc ensemble chez moi. On commence à discuter, assis sur mon lit.
C'est là qu'il m'embrasse
Je lui explique que je ne veux pas aller plus loin, que je veux prendre mon temps. Je n'ai encore jamais fait l'amour. Sans un mot, mon courtisan se rapproche, et se change de plus en plus en oppresseur. Le baiser volé se transforme en attouchements non voulus.
De façon répétée, il prend ma main pour la mettre sur son sexe. Non, stop, je n'ai jamais fait ça. Je ne veux pas. Arrête, je ne veux pas ! Je me justifie, je crie... Rien n'y fait. Il me force « à le finir ». Je suis tétanisée, ma main masturbe son sexe. Le lendemain matin, mon ami devenu agresseur recommence. Cette fois, plus de retenue. Il me pénètre, sourd à mes cris et à ma douleur, aveugle devant mes gestes de rejet, indifférent quant à mon dégoût. Puis il part, me laissant seule avec ma virginité perdue et ma dignité piétinée.
Le viol est un crime. Il est défini par le code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. » Tout acte de pénétration sexuelle est visé : buccale, vaginale, anale, par le sexe, par le doigt, par un objet. La peine encourue est de 15 ans d’emprisonnement.
Les agressions sexuelles autres que le viol sont des délits. Elles sont définies comme « un acte à caractère sexuel sans pénétration commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise ». Il peut s’agir par exemple de caresses ou d’attouchements de nature sexuelle. La peine encourue est de 5 ans et de 75 000 € d’amende.
Le harcèlement sexuel est un délit. Il est défini comme le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. La peine encourue est de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Il s’agit d’actes isolés, qui vont du commentaire non souhaité sur l’apparence physique, en passant par les sifflets, les regards appuyés, ou le fait de suivre une femme jusqu’à chez elle. La peine encourue est de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende.
Dans le bus, je fonds en larmes.
Je ne comprends pas ce qu’il vient de m’arriver. Est-ce que je viens de faire l’amour ? Je ne crois pas, ce n’est pas du tout l’image que j’ai du sexe. Quand j'en parle ce jour-là, c'est une toute autre expression qui sort de ma bouche, bien plus précise : relation non consentie. Et pourtant, je ne suis pas sûre de moi, jusqu’à ce que j’aille consulter mon médecin.
« Est-ce que vous êtes sûre de vouloir continuer cette procédure ?
Est-ce que vous êtes consciente que vous allez peut-être gâcher la vie d’un homme ? »
Le diagnostic est clair :
hymen déchiré et lésions internes. Un viol. Je décide de porter plainte. Je ne sais pas à quoi m’attendre. Une convocation, une salle vide, et moi, seule, devant trois agents de la police judiciaire : « Vous n’êtes pas un cas grave. Vous savez qu’il y a des femmes qui se font prendre dans un coin par cinq hommes en sortant de boîte de nuit ? Le temps que l’on passe avec vous, c’est du temps en moins pour elles ! »
Dépôt de plaintes
J’ai posté un
#MeToo
sur Facebook, sans détail. Tout ce mouvement ne m’étonne pas. Après ce qu’il m’est arrivé, je tombe souvent dans des dérives de pensées : « Tous des porcs. Tous des agresseurs. » Je sais que c’est faux et je lutte pour ne pas réfléchir comme ça.
Mais ça fait du bien de voir que je ne suis pas seule et isolée. Je n’ai pas attendu ça pour parler, mais sans doute que ça en aidera d’autres.
Octobre 2017. Weinstein, c’est le porc de trop. Les internautes reprennent l’affaire et se l’approprient : les #MyHarveyWeinstein, #MeToo, #BalanceTonPorc déferlent sur les réseaux sociaux.
À la fin du mois, les femmes descendent dans les rues de Paris et des grandes villes de France pour appuyer le mouvement. Le hashtag aurait-il le pouvoir de briser le silence ?
C’est ce que croit la présidente du CFCV (Collectif Féministe contre le Viol) Emmanuelle Piet, qui enregistre une augmentation de premiers appels à son organisation. En octobre, 30 % de plaintes en plus et en novembre, 37% de nouveaux appels au CFCV.
Pour elle, les scandales comme celui de l’affaire Weinstein « ont un impact évident dans la prise de parole des femmes, on le voit tous les jours ». Une des clefs d'explication de la libération de la parole des femmes réside dans le rôle des associations. Ainsi, entre 2005 et 2013, le nombre de créations d'associations féministes en France a bondi de 50%.
Association
Je prends un avocat
commis d'office
et je me rends à la confrontation avec mon agresseur. Le policier qui est présent reprend mes dires pour les reformuler et adoucir mon témoignage. Mon avocat le reprend à plusieurs reprises : “Monsieur, ce que vous faites est illégal. Si ma cliente a employé telle expression, c'est qu'il y a une raison !” En sortant, le policier m'interpelle : “Vous allez recevoir une lettre pour vous expliquer que nous n'irons pas plus loin. Ah, et autre chose : s'il vous arrive d'avoir de nouveau un problème, soyez gentille et allez voir ailleurs.”
Selon Youssef Badr, cependant, « il serait plus pertinent de comparer l'évolution du nombre de gens que la justice a poursuivi avec l'évolution du nombre de condamnations. Aujourd'hui, 70% des affaires traitées donnent lieu à condamnation. »
Ce mépris des autorités est chose courante.
Pourtant, les plaintes augmentent de façon continue entre 2000 et 2017. Une question se pose ici. Pourquoi le nombre de dépôts de plaintes en gendarmerie et à la police augmente-t-il alors que celui des condamnations est en baisse sur la même période ?
D'après le porte-parole du ministère de la justice, Youssef Badr, il faut prendre en compte la lenteur des instructions pénales. Les condamnations de 2016 peuvent très bien porter sur des actes perpétrés trois ans auparavant. Le magistrat souligne un autre élément : le phénomène des sérielles.
Il s'agit d'auteurs ayant commis plusieurs crimes ou délits, qui ne recevront qu'une seule condamnation cumulant toutes les peines. Enfin, toutes les plaintes déposées ne donnent pas forcément lieu à des condamnations, dans la mesure où les agresseurs ne sont pas toujours retrouvés, ni même identifiés.
Condamnations
Sources
La lettre de l'observatoire national des violence faites aux femmes, mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des être humain.
Communiqué de presse “Arrêtons-les !” du secrétariat d'Etat chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Statistiques des condamnations.
Recensement police et gendarmerie.
Recensement des associations : lien1, lien2
Source d'inspiration graphique : photographie de Rosea Lake
Crédits
Iman Akabi Développeuse
Sophie Barel Chargée de projet & doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication
Philippine Boutin Designer Graphique
Corentin Chatellier Développeur
Nolwenn Chrestien Designeuse Graphique
Camille Elaraki Journaliste
Quentin Fournier Développeur Front-End
Manutea Huang Développeur
Grégoire Huet Journaliste
Typhenn Mesny Designeuse Graphique